Ecrire ? S’armer des mots

Face à l’innommable violence, comme la petite fille démunie, sidérée que j’étais, je n’ai pas les armes. Je n’ai que mes mots contre les barricades. Je n’ai qu’un cœur gros de toutes les tristesses et les désespoirs. Les balles qui me trouent la peau et les os ne sont pas réelles. Pourtant, je sens leur impact. Il arrive jusqu’ici depuis Gaza. Comme j’aimerais que la poésie puisse arrêter les bombes. Durablement et à jamais. Comme j’aimerais qu’enfin, prendre le parti de l’amour convainque tout le monde. N’y a-t-il donc rien dans votre égo qui vous ramène au père que vous êtes, au fils, au bébé inoffensif que vous étiez ? N’y a-t-il en lieu et place de votre cœur que la noirceur des pourritures terrestres ? De votre égo démoniaque, naît un cimetière rempli du sel des larmes, du sang, des corps des enfants de la terre. Est-ce si dur de rendre les armes ? N’avez-vous pas assez joué avec vos missiles ? Vous avez tué assez d’innocents dans votre arène. Ça suffit.

Je n’ai pas les armes mais j’ai des mots pour crier mon impuissance. J’écrirai donc un poème. Sans rimes, sans dorures. C’est trop pour évoquer ce que je veux dire.

Accroche ton cœur au mien

À l’aube, je ne m’en irai pas.

Je n’ai nulle part où aller.

À l’aube, je ne rentrerai pas.

Je n’ai nulle part où demeurer.

Ma maison est un débris à présent.

Éponge pour le sang d’hommes, de femmes et d’enfants.

De chats, d’oiseaux et de chiens.

Il me reste le cartable de ma fille.

Mais elle est partie cette nuit.

J’ai les épaules trop larges pour le porter.

Pourtant, aussi léger soit-il, il pèse sur mon dos.

Mariam est partie cette nuit.

Je peux oublier à présent les fleurs sans poussières.

Je peux oublier à présent les racines au pied des arbres.

Mariam est ailleurs où le temps est meilleur.

Et mon cœur est plus éparpillé que ces ruines.

J’erre comme un fantôme, la faim au corps.

La faim de rien, la faim de la fin.

Mon sein ne nourrira bientôt plus que le squelette de mon fils.

Nour, mon trésor, la dernière lumière.

Je marcherai pour toi jusqu’à l’eau.

Accroche ton cœur au mien.

Tout ce qu’il me reste, je te le donne.

Et si ce n’est pas assez, je mourrai de ta mort.

Puisqu’il semble que cette terre soit devenue un cimetière.

Puisqu’il semble que l’on nous affame et nous assoiffe, mon fils.

Puisqu’il semble que nous devions payer le prix de la tyrannie d’un seul homme.

J’aimerais te chanter l’air du sommeil sans réveil.

J’aimerais te bercer dans la chaleur de mon dernier coucher de soleil.

J’aimerais percer de mon amour ton regard profond, mon bébé.

Chaque nuit au cas où tu ne reviennes pas, toi non plus.

Alors seulement, j’irai trouver un coin dans la poussière.

Un coin de terre ancien avec quelques brins d’herbes et des fleurs.

Je t’envelopperai dans mon foulard.

Je lâcherai mes cheveux noirs de corbeau.

Je m’allongerai sur la terre aux côtés de tous mes morts.

Et puis au chevet de tous ceux qui ne sont pas les miens.

Et je prierai pour les rejoindre.

Puis je me relèverai, en me maudissant, en me griffant les seins.

En pleurant sur mon ventre de mère avortée.

Incapable de mourir de ses morts.

Je marcherai, ils amènent enfin de l’eau.

Le cartable de ma fille sur le dos.

Les seins lourds de la mémoire d’un lait tari.

Je marcherai, pour honorer mes morts et tous les autres.

Je porterai des orphelins qui deviendront les enfants de demain.

Tant qu’il y aura des orphelins.

Tant que mon pied ne croisera pas le chemin d’une grenade.

Tant qu’il restera un coin de terre avec des fleurs.

R.A

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