Regard sur l’existence : la stratégie du castor

J’ai été saisie, longtemps, par mon incompréhension du monde qui m’entourait. J’ai été sidérée par sa violence, tant et si bien que je n’ai pas su comment agir, réagir, face à lui. Et tous les trous que cela a créés en moi, je les ai remplis, maladroitement. Je les ai colmatés avec ce qu’il reste quand il n’y a plus grand chose : des matériaux de récupération. Ils ont fait le travail un certain temps et pour cela, je les remercie. Je les ai même, à force, complètement oubliés.

Initialement, cette digue symbolique, je l’ai érigée pour contenir toutes mes émotions. Pour survivre au raz de marée de tout un pan de mon enfance. Avec le temps, j’ai compris, et cela m’a rassurée, qu’en fait, on est des milliers à être des castors et à avoir usé de cette stratégie du barrage.

J’ai donc ignoré longtemps, la nature de la boue, l’essence des branches d’arbres, la classification des pierres qui m’ont servie à construire mon barrage. Parce que le tout était encore bien ficelé, j’ai commencé à ne plus vraiment percevoir les bienfaits de la lumière. Je me suis sentie à l’étroit. Je me suis débattue avec le mot liberté, et c’est en le combattant que j’ai été le moins efficace car je me suis fatiguée. C’est coûteux de vouloir réparer des fuites d’eau à longueur de journée parce qu’on a peur de se noyer.

J’ai appris à nager, du coup. Et puis à saisir ce qui compose la boue. Et aussi, même si c’est dur de casser des pierres, à me réjouir des trésors qui peuvent parfois se loger en leur cœur.

Alors, si par le passé tout t’a conduit à construire un barrage sur ta rivière, si aujourd’hui les champs de tes horizons semblent stériles, si à présent dans tes jardins au-dedans rien ne paraît grandir, arme-toi des outils qui t’ont fait bâtir le barrage. Et, pièce après pièce, démantèle-le. Prends ton temps. Accueille la rivière.

R.A

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